Peut-on exprimer son désarroi sans risquer de se faire répondre « ça va bien aller ! », « de quoi te plains-tu, t’as encore un boulot » ou le classique « imagine ceux qui ont connu la Seconde Guerre mondiale » ? Ces injonctions à voir le bon côté des choses partent d’une bonne intention, mais si elles contribuaient aussi à invalider ce que ressentent les gens qui ne vont pas bien durant la pandémie ? Peut-on avouer qu’on va mal sans se sentir jugé ? En pleine deuxième vague, alors que l’anxiété grimpe, la question se pose : avons-nous vraiment réussi comme société à créer un espace sécuritaire pour parler de santé mentale ?

      
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Nathalie CollardNATHALIE COLLARD
LA PRESSE

Si vous vous baladez sur les réseaux sociaux (un des rares endroits qu’on peut visiter après 20 h), vous avez peut-être été témoin d’un échange qui ressemble à ceci : une personne exprime un doute sur une décision du gouvernement qui brime sa liberté (aller marcher avec quelqu’un, par exemple), ou se plaint qu’elle en a marre du confinement, et bang ! trois ou quatre « amis » lui répondent : « Ben voyons, compte tes privilèges, tu as un toit, trois repas par jour, pense à ceux qui n’ont rien ! »

Bien sûr, la personne qui répond veut bien faire en tentant de relativiser la gravité de la situation. Mais contribue-t-elle sans le vouloir à invalider le désarroi de l’autre ? « Il y a une différence entre critiquer et exprimer son désarroi, note la psychiatre Marie-Ève Cotton. C’est complexe. Quelqu’un qui exprime une douleur souhaite se faire reconnaître. C’est vrai que tout le discours sur les privilèges peut contribuer à culpabiliser une personne qui ne va pas bien malgré son confort, son boulot, etc. »

Les réseaux sociaux ne sont pas l’endroit à privilégier lorsqu’on ne va vraiment pas bien, rappelle la psychologue Georgia Vrakas. « Il existe des lieux – lignes d’écoute, bureaux de psy, etc. – plus aptes pour ça », souligne-t-elle. Mais la réalité, c’est que les gens se tournent souvent vers ces réseaux virtuels, à la recherche d’une tape dans le dos ou d’un mot d’encouragement qu’ils ne trouvent pas toujours.

PHOTO FOURNIE PAR GEORGIA VRAKAS

Georgia Vrakas, psychologue

Ce n’est pas négatif de focaliser sur le positif, mais il ne faut pas être dans le déni non plus.

Georgia Vrakas, psychologue

« Il y a de plus en plus de gens qui expriment que ça va moins bien et qui ont besoin d’aide. Si un travailleur à la maison dit qu’il trouve ça difficile, se faire répondre que le télétravail est un privilège minimise l’ampleur de la détresse qu’il vit », observe Georgia Vrakas.

« Je pense que derrière les injonctions à voir le côté positif des choses, il y a une grande peur que les gens ne suivent pas les consignes, suggère pour sa part la psychiatre Marie-Ève Cotton. Les gens deviennent crispés à mesure que le temps passe, ça explique peut-être que les critiques et les commentaires plus négatifs soient parfois accueillis ainsi. Pendant ce temps, il y a des gens qui recherchent une résonance empathique à leur douleur. »